Le CCAS d’Echirolles publie chaque année une Analyse des Besoins Sociaux, en alternant le portrait socio-démographique de la commune et une analyse qualitative portant sur une thématique spécifique.
Contexte
Le développement de l’e-administration connaît une accélération très rapide ces dernières années. Alors que jusqu’à présent l’on pouvait faire ses démarches, au choix, en ligne ou à un accueil, certaines demandes de prestations sont désormais réalisables uniquement de manière dématérialisée, notamment concernant les prestations distribuées par la CAF (prime d’activité, déclaration trimestrielle de ressources liée au RSA) ou dans le cas des déclarations d’impôt au-delà d’un certain seuil (pour tous les revenus fiscal de référence supérieurs à 28 000 € en 2017, mesure qui s’appliquera à tous les ménages à partir de 2019 quel que soit le revenu fiscal).
La dématérialisation des démarches administratives est généralement présentée comme une opportunité, une solution facilitatrice et accélératrice d’insertion. Si c’est le cas pour la majeure partie de la population, comment les publics les plus en difficulté et éloignés du numérique s’en sortent-ils (personnes âgées, personnes hébergées, etc. ; et de manière générale celles qui ne sont pas équipées pour l’accès à Internet ou pour lesquelles l’usage des sites en ligne de démarches administratives est compliqué, voire impossible) ? Une enquête de l’Agence du numérique en 2016 indique que 39% des personnes interrogées sont « très inquiètes » ou « assez inquiètes » face aux démarches administratives en ligne.
Dans le même temps au niveau local, la demande de services numériques de la part des habitant-es est de plus en plus forte, au sein des Comités d’usager-ères des Maisons des habitant-es notamment.
Description / Fonctionnement de l'action
Principaux objectifs
- Mieux connaître les conséquences de la dématérialisation des démarches sur l’accès et le maintien des droits pour les usager-ères.
- Identifier les publics les plus touchés par la précarité numérique, ainsi que leurs ressources et leurs difficultés dans les démarches administratives en ligne.
- Mettre en lumière les initiatives et les pistes d’évolution pour favoriser l’inclusion numérique à Echirolles, qu’elles soient portées par le CCAS, la Ville ou des partenaires locaux.
Fonctionnement de l’action
En 2015, le CCAS a mis en place un comité de pilotage des ABS partenarial, présidé par la Vice-Présidente du CCAS, dont la fonction est de :
- partager une analyse à partir de données chiffrées, d’indicateurs d’activité, de constats et de tendance issus des différents partenaires,
- mieux articuler l’intervention sociale locale en identifiant les "flous", les "doublons", les "manques" de la répartition des interventions entre les partenaires.
Ce comité réunit une vingtaine d’organismes et d’associations qui interviennent à Echirolles dans les champs de l’action sociale, du soutien aux familles, de la protection de l’enfance, du handicap, les bailleurs sociaux, des structures de santé, de l’insertion-emploi. Il s’agit des partenaires « habituels », mais qui jouent un rôle certain dans cette thématique : CAF, Département, Pôle Emploi, Mission locale, associations de personnes en situation de handicap, associations intervenant auprès des personnes âgées.
La démarche d’ABS s’est déroulée en plusieurs phases :
- Phase 1 : validation par le Conseil d’administration et le Comité de pilotage partenarial de l’ABS de l’analyse thématique sur « numérique et accès aux droits » en novembre 2016
- Phase 2 : entretiens avec des professionnel-les et habitant-es, analyse de données qualitatives collectées (études, articles, dossiers..) : de janvier à avril 2017
- Phase 3 : restitution intermédiaire des premiers constats de l’enquête au Comité de pilotage partenarial de l’ABS, et contribution des membres du Comité de pilotage : mars 2017
- Phase 4 : Publication de l’ABS avec les préconisations en octobre 2017
Une enquête de terrain a donc été menée par la professionnelle en charge de l’ABS, de manière à mettre un « coup de projecteur » sur cette problématique mais sans viser à l’exhaustivité. Elle a été basée sur des entretiens individuels ou collectifs avec des professionnel-les et des habitant-es : service social polyvalent, service social personnes âgées, Maisons des habitant-es, bibliothèque municipale, animateurs bénévoles d’ateliers informatiques et habitant-es en situation de faire des démarches administratives en ligne. 25 personnes au total ont été interviewées.
Principaux enseignements de l’ABS
L’étude contient trois chapitres, en voici les principaux enseignements.
1. L’accès et la maîtrise des outils numériques : des difficultés majeures pour les populations les plus fragiles
- Une problématique d’accès aux équipements et à la connexion,
- Des profils concernés diversifiés : des personnes en situation de précarité sociale ou financière, des personnes âgées, des personnes ne maîtrisant pas bien la langue française, des jeunes qui possèdent les outils, mais ne maîtrisent pas toujours les usages,
- De plus en plus de démarches réalisables en ligne seulement,
- Des accueils physiques qui se raréfient (de moins en moins de guichets),
- Une appréciation parfois sous-estimée de la valeur des démarches en ligne,
- Une anxiété liée aux démarches dématérialisées : peur de faire des erreurs ou de se faire « pirater »,
- Une difficulté à faire valoir ses droits dans les situations complexes faute de pouvoir expliciter sa situation en direct,
- Un recours accru au soutien des travailleurs sociaux et aux services de proximité,
- une augmentation des situations de non-recours, ruptures de droits ;
- la dématérialisation peut accentuer l’exclusion des populations déjà fragiles.
« Ceux qui ne maîtrisent pas le numérique sont de « nouveaux analphabètes » - Maison des Habitant-es Les Ecureuils
« La dématérialisation, c’est à double tranchant : c’est plus facile de faire des choses depuis la maison, mais c’est aussi plus excluant pour les personnes qui ne savent pas se débrouiller » - S. 40 ans, habitante.
2 . Des professionnel-les également impacté-es par la dématérialisation des démarches
Les démarches dématérialisées peuvent faciliter la mise en œuvre de l’accompagnement réalisé par les professionnel-les de l’intervention sociale, mais posent également de nombreuses questions.
- Une charge de travail administratif qui ne baisse pas, une partie des personnes accompagnées n’étant pas autonome dans la réalisation des démarches.
- Un impact sur les demandes d’aides facultatives du CCAS : du fait des difficultés d’accès et des ruptures de droits, les usager-ères sollicitent plus souvent une aide sociale facultative du CCAS pour faire la "jonction".
- Un questionnement sur l’accompagnement vers l’autonomie des publics : faute de temps pour former les personnes, et surtout pour sécuriser l’accès aux droits, les professionnel-les sont parfois amené-es à faire “à la place de”.
- Pour les professionnel-les aussi, de moins en moins d’interfaces avec les organismes.
- Des questions liées à la déontologie et aux “bonnes pratiques” dans le champ de l’accompagnement numérique des publics
3. Favoriser l’inclusion numérique à Echirolles
Les réflexions sur la dématérialisation sont nombreuses à Echirolles et des projets se développent au fur et à mesure que la dématérialisation impacte le quotidien des usager-ères. L’un des objectifs de cette ABS était néanmoins de sensibiliser plus largement sur cette thématique et notamment les élu-es afin de favoriser le développement de nouvelles actions.
- Proposer des lieux d’accès aux outils numériques dans la proximité,
- Permettre un accompagnement dans les démarches au quotidien,
- Former les publics pour développer leur autonomie numérique,
- Développer les formations spécifiques pour les professionnel-les (avec Emmaüs Connect notamment),
- Rendre visible l’offre de service dans le champ du numérique,
- Partager une vision sur les enjeux, les problématiques et les besoins, entre tous les partenaires de l’intervention sociale.
… Mais des leviers d’actions limités par des contraintes fortes
Un accès aux droits de plus en plus complexe et restrictif,
Des sites internet parfois peu faciles d’usage,
Une problématique de financement des projets et des services développés.
Bilan
Le zoom thématique sur la « fracture numérique » a permis la mise en lumière d’un questionnement qui touche tous les citoyen-nes, tous les services. Le choix a été fait, dans le rapport final, de mettre en valeur la parole des usager-ères et des professionnel-les confronté-es à la problématique.
L’accompagnement des démarches administratives en ligne est une demande forte des habitant-es et une réalité des professionnel-les relativement peu visible, qui a pu être mise en lumière dans cette analyse des besoins sociaux. Si celle-ci ne contient pas de plan d’action à proprement parler, elle a permis d’indiquer les initiatives diversifiées mises en œuvre par la commune et ses partenaires sur le territoire.
Les constats établis ont dans l’ABS ont notamment permis de :
mobiliser des fonds supplémentaires de l’État dans le cadre du Contrat de ville et de mettre en place une action expérimentale de formation des habitant-es dans l’un des quartiers prioritaires de la commune ;
équiper progressivement les 6 Maisons des habitant-es d’ordinateurs avec connexion internet et possibilité d’imprimer, en accès libre sur les horaires ouvertures des équipements ;
former les agent-es d’accueil des Maisons des habitant-es sur les enjeux de l’accès aux droits en lien avec le numérique.
Bien qu’il n’ait pas abouti à la mise en place d’une coordination des actions numériques sur le territoire, ce qui reste une perspective tout à fait intéressante, ce zoom thématique de l’ABS devrait toutefois permettre une continuité de la prise en compte de la problématique numérique dans les projets et services du CCAS.
Le fait d’avoir étudié spécifiquement la question de la dématérialisation des démarches a permis d’établir que les interventions en la matière sont à la fois nombreuses et diversifiées, tout en n’étant peu articulées entre elles. Ce zoom thématique a ainsi offert la possibilité de réajuster des contours d’intervention et de développer de nouveaux projets pour répondre à un besoin social émergent et qui risque de se développer encore.
Le rapport est publié sur le site internet de la Ville d’Echirolles (page consacrée au CCAS), en accès public.
N.B. : suite à une délibération adoptée par le conseil municipal, les services de la Ville d’Echirolles rédigent désormais leurs documents selon les principes de l’écriture inclusive. A la demande du CCAS, cette rédaction a été conservée par l’UNCCAS dans la fiche d’expérience.
Photos : Ville d’Echirolles
Moyens
Moyens humains
Environ 0,3 ETP dédiés à l’observation sociale (élaboration de la méthodologie, entretiens, rédaction, suivi de la publication).
L’Analyse des besoins sociaux est portée par une professionnelle chargée de « projets sociaux transversaux ». L’ABS s’inscrit dans une démarche plus globale d’observation sociale portée par le CCAS d’Echirolles : collecte et traitement d’indicateurs auprès des différents organismes nationaux (INSEE) et locaux (CAF, Pôle Emploi, Département notamment) ainsi que des services du CCAS, puis production d’analyses. C’est une fonction ressource pour les services du CCAS et de la Ville. Il s’agit aussi de préparer et d’animer les comités de pilotage partenariaux, de participer à des réunions de partage de connaissance et de remontées d’informations avec les professionnel-les des territoires, etc. En complément, une partie du temps de travail de la chargée de « projets sociaux transversaux » est dédiée à un soutien à des projets et dynamiques interservices au sein du CCAS, ou de soutien méthodologique aux directrices des différents pôles (élaboration du bilan d’activité tous les deux ans, conception et élaboration d’un projet de direction, soutien au renouvellement des contrats de projets des centres sociaux, etc.).
Enfin, la chargée de « projets sociaux transversaux » assure la coordination et le suivi administratif et financier de certaines demandes de subventions du CCAS : Politique de la ville, Fonds européens, Fonds départementaux pour l’insertion, etc. ; demandes pour lesquelles des indicateurs statistiques doivent très fréquemment être mobilisés.
Moyens matériels
La prestation d’une graphiste pour la mise en forme du document.
Coût/budget
2500€ de mise en page du document + coût d’impression (en interne) + coût du poste de la chargée de projets transversaux en charge de l’ABS.